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Avant que Turing n’ait conçu sa machine ; avant que naisse l’informatique qui, dit-on, en est issue ; avant que les hommes ne se soient familiarisés avec les puissants calculateurs électroniques qui sont aujourd’hui monnaie courante ; avant qu’on ait pris conscience que la miniaturisation des circuits imprimés n’aurait finalement d’autre limite que celle de la taille de l’atome, personne ne pouvait concevoir ni que le cerveau puisse être le lieu où se structure la pensée, ni a fortiori comment l’esprit pourrait procéder de la matière.

Aujourd’hui, plus personne ne doute que la pensée se constitue dans l’immanence, sans aucune intervention métaphysique, du moins aucune intervention directe, ou, pour le dire autrement, hors de tout action magique, on veut dire non reproductible, ou non imitable. Certes on ne sait pas encore le faire, mais on devine déjà qu’on parviendra bientôt à expliquer comment surgit une conscience ; mieux, on perçoit déjà, par analogie avec les applications de l’électronique, et en se référant aux méthodes qui permettent de programmer des automates (et il en existe d’ores et déjà, de toutes sortes), les grandes lignes du processus qui conduit à l’émergence d’une conscience, étape essentielle de la structuration du cerveau humain, et de l’apparition de la pensée. On peut, sans craindre d’être contredit, poser le postulat, que le cerveau humain, tel une sorte de sismographe, ou d’électroscope, est, d’abord, un appareil enregistreur ; il stocke, sous un mode ré-activable (lequel bien entendu reste à élucider) les réactions émotionnelles du sujet.

D’une façon ou d’une autre, dans le cerveau s’inscrivent les aspérités du monde, soit auxquelles le sujet se cramponne parce qu’il y trouve à satisfaire ses désirs, ses besoins, soit desquelles il cherche désespérément à fuir, parce qu’il les a repérées comme étant le siège d’une menace, et qu’elles provoquent frayeur, répugnance, rejet… en somme, dans le cerveau s’inscrit une sorte de compte rendu fidèle de tous les mouvements intimes qui agitent le sujet ; c’est ainsi, en fonction de ses capacités réactives, purement instinctives, inscrites dans sa nature physiologique profonde, dans son métabolisme, dans ses flux hormonaux, dans ses gènes, que, confronté au monde, il va voir sa personnalité se construire.

Les enregistrements, plus ou moins pérennes, des évènements vécus, vont fonctionner à l’égal des instructions d’un programme ; ils vont être sollicités à chaque nouvelle confrontation avec le monde ; ils éclaireront tout nouvel événement ; dans certains cas d’une lumière aveuglante, lorsqu’une nouvelle péripétie interviendra qui réveillera le souvenir cuisant, d’un événement du passé, enveloppé de sensations intenses, particulièrement douloureuses ; dans d’autres cas ils fourniront une disposition d’esprit a priori, susceptible de correction, parce que l’émotion qui l’accompagne ne s’est pas inscrite si profondément qu’elle en soit devenue irréversible. Dans le premier cas on se trouvera confronté à une névrose ; dans le second cas on est tout simplement en présence d’un apprentissage banal, qui se fait progressivement, par enrichissements successifs d’une première sensation. Dans tous les cas on voit que rien ne vient à l’esprit qui n’ait été provoqué par le monde ; que la pensée se nourrit exclusivement des évènements mondains et de la couleur que leur communique le for intérieur du sujet ; que l’esprit n’est que réaction au monde ; que le for intérieur n’est pas la pensée mais qu’il en commande la coloration ; et que finalement la pensée individuelle n’est que la perception du monde telle qu’elle procède des capacités réactives du sujet et des circonstances de sa rencontre avec le monde.

Dès lors, ne peut-on affirmer que la pensée est un produit du monde ?

Sublime paradoxe, qui viendrait bousculer jusqu’à renverser, cul par dessus tête, l’ordre des choses tel que l’Occident l’a conçu ; ordre au nom duquel le monde passe pour être le produit de la pensée individuelle, tant et si bien que chacun croit de son devoir de le plier aux exigences de son idéal. Ainsi le monde serait premier et la pensée n’en serait qu’un reflet. Voilà qui, de façon inattendue donnerait quelque consistance à la vision platonicienne, puis augustinienne, des idées. Sauf que, faut-il le rappeler, aujourd’hui, comme indiqué précédemment, le phénomène de pensée ne peut plus se concevoir comme procédant d’une origine métaphysique.

Tout incite à penser qu’autour de ce paradoxe apparent est en train de s’édifier une nouvelle anthropologie susceptible d’ouvrir de nouvelles perspectives à l’humanité qui habite l’homme… à condition que soit identifié, pour être respecté, le processus en vertu duquel le monde, savoir l’ombilic de la pensée, vient à être.

[Louis R. Omert est l’auteur de l’ouvrage intitulé « Le sursaut », « Essai critique, social et philosophique », publié chez l’Harmattan, dans la collection « Questions contemporaines »]

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