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En général, on invoque un devoir de mémoire, pour appeler à se souvenir d’évènements graves, dont on veut éviter la répétition ; et on a parfaitement raison d’exiger que personne, de ceux qui ont vécu ces évènements, n’oublie ce qu’ils furent ; et que tous, au contraire, donnent à le savoir ; de sorte que personne, de ceux qui n’en furent pas les témoins, ne puisse prétendre ignorer qu’ils ont eu lieu, et quelles en furent les conséquences ; ainsi de la volonté délibérée d’exterminer les Juifs, les Arméniens ou les Tutsis… et que sais-je encore !

A ma grande surprise j’ai entendu défendre l’idée, qui m’a paru nouvelle, et pour le moins bizarre, qu’on aurait un devoir de mémoire envers ses origines. Non seulement on serait fondé à revendiquer d’être accepté pour ce qu’on est, ou plutôt pour ce qu’on croit être, mais il faudrait, de surcroît, s’astreindre à se bien pénétrer de ce qui fut qu’on est devenu ce qu’on est ; en somme il faudrait cultiver ses racines, comme on travaille la terre à la racine d’une plante pour qu’elle donne de belles fleurs et de bons fruits ; autrement dit cultivons la différence.

Voilà une bien sotte, et fort archaïque, conception de l’humanité ; de ce qui est en l’homme sous forme de potentialité ; dont il peut, certes, disposer de plein droit ; et qui est, en effet, susceptible de s’épanouir ; à condition qu’il n’ignore pas que rien ne lui sera donné a priori de ce qui est de nature à faire de l’animal bipède doté d’un cortex supérieur qu’il est par nature, l’être humain de plein exercice qu’il peut devenir par culture.

Or cet effort, qui de l’obscure chenille va faire naître un papillon resplendissant, qui d’un animal va faire naître un être humain, est l’affaire de toute une vie ; l’antiquité pensait, et à juste titre, qu’on ne peut dire d’un mortel qui il est ; qu’on saura qui il a été que quand il ne sera plus ; comme le rayon vert qui ne laisse qu’une trace fugitive ; qui n’apparaît que pour aussitôt disparaître, au moment précis où le soleil se cache derrière l’horizon liquide. L’humanité n’est jamais donnée ; elle n’est jamais acquise ; c’est quand elle n’est plus qu’on découvre qu’elle a été… ou plutôt qu’elle était là, à portée de la main de celui qui n’est plus ; qu’il en était éclairé ; qu’il en recevait une sorte d’aura…

Comment, dans ces conditions, accepter d’être regardé comme si je n’étais, ne pouvais être, que ce qu’une culture donnée, une nation ou une ethnie particulière, ou encore une famille, m’a fait. Il n’est, bien sûr, pas ici question de contester qu’un individu est déterminé par les conditions qui ont présidé à son accueil dans le monde ; oui, c’est bien clair, l’individu n’est qu’un automate programmé par les circonstances vécues par lui… aussi longtemps du moins qu’il n’en prend pas conscience.

Est-ce à dire qu’il a la faculté de se libérer de toutes les déterminations, de toutes les chaînes dont la vie l’a chargé ? Assurément non ! Et la possibilité de desserrer les liens qui l’entravent, par ses propres moyens, est faible. Mais comment pourrait-il espérer ne serait-ce qu’entrevoir ce que peut être la liberté s’il doit passer son temps à cultiver son passé.

Il faut constamment lutter contre la tyrannie du passé (ce qui n’est pas l’oublier ; mais au contraire s’en souvenir pour s’en défier).

En forme de conclusion provisoire on peut affirmer que les communautarismes, quels qu’ils soient, sont des pièges mortels ;et que la France, parce qu’elle est une grande culture, est bien fondée à ne pas les encourager.

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