Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Jean-Marie Le Pen s’est offert le luxe, en quelques jours, en accordant une interview à Rivarol, et en s’exprimant devant des micros complaisants, de carrément récapituler, sous forme de litanie, à l’intention de l’opinion publique française, qu’il soupçonne d’amnésie, et sans doute n’a-t-il pas totalement tort, les quelques petites phrases empoisonnées, qu’il a distillées au cours de sa longue carrière politique, et qui ont fait grand bruit en leur temps. N’en doutez pas, le veux lion, qui a, par le passé, surabondamment apporté la preuve, aux yeux de tous, y compris de ceux qui ne partagent aucune de ses idées, de son talent d’orateur et de débatteur, de son intelligence politique, sait pertinemment ce qu’il fait, et il le fait bien entendu à dessein. Mais quel but poursuit-il avec autant de détermination ?

Certains disent que la famille est forcément de connivence ; que le patriarche s’efforce, tout bonnement, d’épauler habilement l’héritière, l’aidant à dé-diaboliser le courant politique qu’il lui a confié, en lui offrant, sur un plateau, l’occasion, en or, de se démarquer, de façon spectaculaire, de la rhétorique paternelle ; il suffira à Marine Le Pen d’obtenir des instances nationales du parti qu’elles prononcent une sanction contre celui à qui elles doivent leur existence ; par exemple, qu’elles lui retirent leur habilitation à représenter le parti dans la région PACA aux prochaines élections régionales. Je crains que ceux qui défendent cette hypothèse soient aussi mal inspirés que les illuminés qui naguère soutenaient que, naturellement, le Général De Gaulle et le maréchal Pétain agissaient de concert, l’un depuis Londres, l’autre depuis Vichy.

On peut en revanche imaginer que le vieux baroudeur de la politique française, en s’adonnant avec un empressement suspect, mais non sans délectation, à ces frasques dont il est coutumier, poursuit au moins deux objectifs, simultanément et de façon assez astucieuse.

Jean-Marie le Pen a des convictions ; il sait qu’elles ne sont partagées que par une infime minorité de l’opinion publique ; et qu’elles ne risquent en aucun cas de triompher telles quelles. Sur ce point très précis il est en parfait accord avec Marine, sa fille. Ils se séparent quand celle-ci se déclare prête à gommer tout ce que ces idées peuvent avoir d’excessif aux yeux d’un peuple qui a eu à en subir les effets ; qui plus est, sous les conditions horribles de l’occupation (que précisément Jean-Marie Le Pen juge n’avoir pas été particulièrement inhumaines) ; alors que lui, fondateur du parti, peut s’enorgueillir d’avoir, avec une extrême dextérité, réussi l’exploit de faire que ces idées pèsent dans le débat politique national, et même soient largement prises en compte par les forces de la droite classique, en mal de suffrages.

Donner au Front sa chance de devenir un parti de gouvernement (sans compter qu’il reste à apporter la preuve que ce soit réalisable), c’est forcément couper les ponts avec ce qu’il reste de la tradition vichyste ; c’est mettre à mort définitivement une idéologie que Jean-Marie Le Pen a miraculeusement maintenue en vie, et dont il a réussi à faire une pierre d’angle de l’édifice politique français ; en le barricadant, en le mettant à l’abri dans la citadelle du parti, il a maintenu artificiellement en vie le fantôme de Vichy ; il lui a donné droit de cité dans le monde politique français ; les électeurs, assurés qu’il n’accèderait pas au pouvoir, ont jusqu’à présent voté pour le Front National dans le seul but d’affirmer leur mécontentement. Dé-diabolisé, réduit à n’être plus qu’une composante de la droite classique, le Front se verrait à son tour contraint de séduire l’électeur potentiel, de lui faire sa coure, et donc de rompre avec ses principes fondateurs. Pour Jean-Marie Le Pen le Front doit rester un repoussoir idéologique pour mieux rassembler les protestataires d’où qu’ils viennent. Il a raison, à l’évidence. Qui peut douter qu’en cas de fusion, de confusion, entre les états major du Front et ceux de l’ U.M.P., les forces du centre se verraient dans l’obligation de chercher une alliance avec la gauche. Après tout pourquoi pas ? Le glissement du Front vers la droite classique servirait de révélateur ; les Français réaliseraient enfin qu’ils sont, sans en avoir conscience, majoritairement de gauche.

Mais le vieux briscard qu’est Jean-Marie Le Pen poursuit probablement un autre objectif en jetant le trouble dans les esprits, et des militants du parti, et de l’opinion publique en général. Il sait pertinemment que le programme du Front National, s’il était appliqué, ne pourrait conduire qu’à un désastre ; il veut éviter à sa fille de se retrouver dans une situation désespérée ; c’est pourquoi on peut s’attendre qu’il ne cède sur aucun point aux instances de son parti : il ne démissionnera pas ; il se présentera à la tête d’une liste, soutenue ou non par le Front National, dans la région PACA ; il continuera à chanter, ha ut et fort, sa rengaine vichyste ; il fera tout ce qui sera à son pouvoir pour discréditer le Front aux yeux des électeurs modérés, et éviter à Marine l’épreuve du pouvoir.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :