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Comment la communauté des hommes en est-elle venue à considérer que les moyens de production pouvaient (devaient ?) faire l’objet d’une appropriation privée, individuelle ?

Il faut probablement remonter à la révolution néolithique, à la familiarisation progressive des hommes avec l’élevage domestique et l’agriculture, pour que voir naître l’idée que la part de soins et de peine consacrée à la production de denrées vivrières devait, tout naturellement, ouvrir un droit à la reconnaissance de la propriété privée des moyens de production : en même temps qu’on se hasarda à entourer d’une palissade, ou de toute autre forme de limite territoriale, le lopin de terre dont on voulut manifester par là qu’il était sien et non partageable, on confina, à l’intérieur de ces limites, le cheptel vif qu’on y entretenait, et le cheptel mort qui permettait l’exploitation du tout ; ainsi naissait le droit à l’appropriation individuelle des moyens de production. Coup de force ? Convention tacite ou expresse ? Nul n’en sait rien. La réponse à ces questions est en fait de peu d’intérêt ; la propriété privée des moyens de produire répondait à un besoin : elle favorisait l’initiative individuelle, stimulait les énergies, favorisait le progrès tout en libérant les personnes, les rendant maîtres du fruit de leur travail.

Quand, au dix-neuvième siècle, la révolution industrielle, sépara de façon nette, en tout cas de façon bien plus manifeste que jamais auparavant, la propriété privée des moyens de production et le labeur collectif nécessaire à leur exploitation ; quand l’exode rurale commença à prendre de l’ampleur ; quand les usines durent faire appel à des armées de travailleurs salariés ; quand naquit le prolétariat, savoir ces hommes et ces femmes relégués dans l’anonymat et le dénuement les plus complets ; alors se posa, de façon très exigeante, la question de la légitimité de l’appropriation privée des moyens de production. Leur collectivisation fut la réponse, proposée par le socialisme de l’époque ; réponse mise en application par les soviets, après la révolution prolétarienne de 1917, en Russie. On sait à quelle impasse, et à quels désastres humains, l’économie dirigée, collectiviste, conduisit. Les conséquences s’en font encore sentir au vingt-et-unième siècle ; la principale de ces conséquences étant constituée par le discrédit jeté sur toute tentative de remettre en question la propriété privée des moyens de production.

Le hiatus, totalement illégitime, indéfendable, insupportable, entre le capital et le travail, reste un scandale que les partis de gauche et les syndicats ouvriers occidentaux, non révolutionnaires, acquis à l’économie de marché, continuent de dénoncer ; sans toutefois trouver d’autres moyens d’y remédier que ceux, éculés, qui se justifiaient au dix-neuvième siècle, quand le patron, l’employeur, était le seul, ou de loin le principal, actionnaire de l’entreprise : on continue de faire grève pour mettre à mal les intérêts du capitaliste et l’obliger à consentir au partage de la rente. Or l’économie d’aujourd’hui a totalement changé de paradigme ; il ne s’agit plus d’une économie d’entrepreneurs ; les grands patrons des entreprises sont le plus souvent des salariés ; le pouvoir de décision est désormais à la discrétion d’une finance anonyme, mondialisée, parfaitement insaisissable, volatile ; qui joue au monopoly sur un terrain d’action planétaire, en se moquant de toutes les frontières.

Le socialisme doit aujourd’hui se résigner à changer de stratégie ; il ne s’agit plus d’exproprier le capitaliste mais de donner aux salariés les moyens de partager sa propriété ainsi que les pouvoirs qu’elle confère dans la direction de l’entreprise. La financiarisation de toute l’économie rend cette solution facilement réalisable (on ne s’attardera pas ici sur les modalités de l’action à conduire pour réaliser un tel objectif). Il n’est plus question d’imposer le partage des profits mais de consentir au partage des responsabilités. La solution n’est pas de supprimer la propriété privée des moyens de production mais de l’étendre à l’ensemble des parties prenantes dont dépend le bon fonctionnement de l’entreprise.

L’entreprise doit devenir le bien commun de tous ceux qui la font vivre ; les syndicats auront alors comme boussole l’accroissement de ses profits, avec comme contrepartie légitime la promotion des salariés au rang d’actionnaires et de décideurs.

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