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Finalement, on peut se demander qui se soucie de savoir d’où lui vient qu’il pense ; la question n’est pas à l’ordre du jour ; elle a, estiment le plus grand nombre, sans doute été résolue depuis longtemps ; dans le pire des cas, certains, dont le nombre ne fait que croître, n’entrevoient même pas qu’une telle question puisse être posée ; ils ont un cerveau (ils savent tout de même qu’ils pensent grâce à lui) ; ils s’en servent comme d’un engin de terrassement ou de labour, pour déblayer, défricher, défoncer, un monde dont ils ont le sentiment qu’il s’offre à eux comme pour être exploré, exploité, et devant lequel ils n’éprouvent d’autre ambition que de s’y tailler une propriété, la plus large et la plus confortable possible. Le spectacle du monde dans lequel nous vivons est proprement stupéfiant. Ne voyez aucun mépris dans ce qui précède ; c’est une constatation : les hommes n’ont jamais été aussi éduqués, aussi savants, qu’ils le sont aujourd’hui, ni aussi intelligents, mais les questions de savoir d’où leur vient cette intelligence, en quoi elle consiste, ce qu’il faut, ou ce qu’on peut, en attendre… ne les effleurent même pas ; la communauté des hommes s’est engagée, sur toute la surface de la planète, dans une course frénétique au bien être ; lequel est supposé n’être accessible que grâce à l’argent : il faut toujours plus de profits, donc plus de croissance, plus d’investissements, plus d’exploitation des ressources qu’offre la nature… or le stock des ressources non renouvelables, par définition, n’est pas inépuisable ; l’horizon à partir duquel leur déclin deviendra perceptible n’est vraisemblablement distant que de quelques dizaines d’années ; on ne sait pas ce qu’il adviendra ensuite ; peut-être se trouvera-t-on confronté à la béance d’un gouffre immense ; on n’en écarte pas l’hypothèse, mais on se garde bien de ralentir, de se donner le temps de réfléchir, le risque est trop grand : il est impensable de céder du terrain à ceux qui, parce qu’ils n’auraient eu aucun scrupule, pourraient rafler la mise, quand bien même, cette mise devrait être la dernière, celle qui précéderait immédiatement l’apocalypse.

Epicure déjà (quatrième/troisième siècle avant Jésus-Christ) faisait le constat que la civilisation était loin d’avoir humanisé l’homme ; il préconisait un retour en direction de l’état de nature. Ce jugement ne manquait pas de pertinence ; il est néanmoins contestable sur deux points.

Premièrement la civilisation qui régnait en Grèce, dans l’antiquité, à l’époque d’Epicure, et qui a donné naissance à la civilisation occidentale, telle que nous la connaissons, n’est pas, contrairement à ce que pensaient les Grecs au temps d’Epicure et à ce que pensent encore la plupart de nos contemporains, la seule expression possible de l’humanité qui est promise à l’homme ; peut-être même en est-elle l’exact opposé. En d’autres termes, ce qu’on appelle la civilisation n’est en réalité que le monde tel que l’esprit l’a généré et l’anime à un moment donné ; c’est le monde des hommes par opposition au monde animal ; le monde auquel l’esprit permet d’accéder ; il pourrait être tout autre qu’il n’est ; et pour être le produit de l’esprit, des capacités réflexives du cerveau humain, il ne marque pas, pour autant, nécessairement, un progrès par rapport au monde tel que l’homme l’a connu au début des temps, quand l’humanité n’était encore en lui qu’une vague promesse : le monde des premiers hommes se distinguait à peine des mondes qui s’offrent aux autres espères du genre animal

Conséquemment, et deuxièmement, on est fondé à refuser d’admettre que le salut doive nécessairement consister dans un retour vers l’état de nature. On peut néanmoins convenir avec Epicure que la voie empruntée par la communauté des hommes les a conduits à tourner le dos au but recherché, si toutefois celui-ci visait, comme on peut légitimement le penser, à assurer le plein développement du germe d’humanité qui les habite ; étant entendu que par humanité on entend qualifier un mode d’être, un comportement, éloignés de la pure et simple animalité qui consiste en la seule préoccupation de la survie des membres de l’espèce et en la perpétuation de cette dernière, lesquelles passent par le triomphe des individus les mieux armés pour affronter la vie, mais, au contraire, soucieux d’établir le règne de la justice, savoir de promouvoir une collaboration et une solidarité institutionnalisées entre les individus visant à assurer le maximum de bien être à chacun d’entre eux quelles que soient leurs aptitudes respectives.

Bien que très sommaire, ne prenant en compte que l’un des grands principes censés déterminer l’humanité et donc fonder la civilisation, i.e. les modes d’être et de comportements propres à l’espèce humaine, la définition qui précède fait apparaître clairement que la civilisation occidentale accuse un déficit considérable par rapport aux ambitions qu’elle affiche. (A suivre)

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