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Les verbes être et aimer ont, chacun, plusieurs sens.

Le premier a même des fonctions diverses : il sert d’auxiliaire dans les temps composés de certains verbes ; par ailleurs il permet, d’une part, d’affirmer l’existence et d’autre part de préciser l’essence. De ce fait quand il est substantivé il peut donner lieu à des ambiguïtés, voire à des contresens. L’être exprime-t-il le fait d’exister ou désigne-t-il l’essence d’un étant ? Le contexte est censé éclairer sur ce point ; ça n’est malheureusement pas toujours le cas. « Je pense, donc je suis » signifie, en principe : « J’existe puisque j’en ai conscience » ; mais n’est-ce pas trop conclure à partir de ce seul fait que je pense ? Ne serait-il pas plus pertinent d’en déduire que je suis une faculté de penser ? Une faculté de penser qui n’aurait pas l’être en tant qu’existence, qui ne serait pas un étant, ne serait-elle pas concevable ? Bien sûr que oui, pour Descartes en tout cas, pour qui l’être suprême n’est précisément pas un étant. On comprend mal pour quelle raison Descartes ne s’est pas exclamé : « Je pense, donc je dispose d’un attribut divin : je suis pour le moins un fragment de divinité », ce qui est incompatible avec l’existence en tant qu’étant. Trêve de digression ; on comprend qu’il y a une différence considérable entre l’être qui désigne le fait d’exister et l’être qui vise ce en quoi consiste cette existence. On peut tout ignorer le comment et le pourquoi du premier sens de l’être : qu’est-ce qui fait qu’il y a de l’existant, donc de l’étant, plutôt que du néant ? Est une question qui a toutes les chances de demeurer à jamais sans réponse. En revanche on a multiplié les hypothèses (et on n’a pas fini de spéculer sur ce sujet) sur les raisons qui font que la chose est telle qu’elle me paraît, telle que je la connais et la reconnais, telle que je la comprends dans mon monde. La question : « qu’est-ce qui fait que les choses ont un sens et font monde ? » trouve au contraire un trop plein de réponses. Et la raison de cette différence d’appréciation entre l’existence et l’essence tient au fait que l’existence est un fait de nature ; alors que l’essence, qui s’exprime avec le verbe être utilisé sous forme de copule introduisant un attribut, peut, et probablement doit, être considérée comme un fait de culture.

Aimer a également des sens multiples. On ne prétend pas signifier la même chose quand on dit qu’on aime une friandise et quand on affirme aimer son compagnon ou sa compagne pour la vie. D’ailleurs on entend couramment utiliser l’expression « aimer d’amour » qui passe à tort pour un pléonasme. On n’aime pas d’amour le chocolat. Or le verbe aimer ne s’utilise guère dans sa forme substantivée ; on préfère le mot amour à la forme verbale substantivée, l’aimer. Quand il est question d’une préférence gustative, auditive, visuelle… bref d’une préférence pour une chose qui ne s’adresse qu’à l’un des cinq sens externes, dire qu’on aime ne vise qu’à faire entendre qu’on apprécie cette chose et qu’on la trouve donc désirable ; volonté d’appropriation pour la pure et simple jouissance ; aimer quand il s’agit d’amour, aimer au sens noble, n’exclut pas un désir d’appropriation, peut-être même l’amour prend-il nécessairement racine dans un tel désir, mais comporte aussi, en principe un désir de don et de partage, et parfois même la volonté de donner sans esprit de retour. Dans le premier sens aimer exprime une sorte d’égoïsme, ou pour le moins d’égotisme, ou d’égocentrisme ; dans le second sens, le sens noble, aimer est aussi (certes pas seulement) l’expression d’un altruisme. En somme aimer est un verbe qui est une sorte de copule à l’instar du verbe être ; être permet d’énoncer les attributs de l’existant (fait de nature), tels qu’ils sont perçus par une cerveau humain (fait de culture) ; aimer permet de préciser le rapport que l’existant entretient avec le monde ; lequel n’est jamais exclusivement un fait de nature (les sensations s’éduquent), mais quand il peut être considéré comme l’expression d’un amour alors il est strictement, et uniquement, un fait de culture : « j’aime les femmes blondes et menues » n’a évidemment pas la même signification que : « J’aime mon épouse »… qui, d’ailleurs, peut n’être ni blonde, ni menue.

L’essence de l’amour comme de toute chose est un produit du cerveau humain ; l’être de l’amour prend racine dans une existant, l’instinct de reproduction, mais un existant, qui comme tout étant est apprécié en humanité, c’est-à-dire est voué à prendre sens pour l’homme, doit devenir un pour soi, doit faire monde.

On peut se demander si nos contemporains n’ont pas perdu le sens humain, noble, de l’amour et s’ils n’ont pas succombé à la tentation d’aimer selon la nature : J’aime telle personne aujourd’hui… qui sait ce qu’il adviendra de cet amour demain… mais à cette aune peut-on encore parler d’amour ?

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