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En 1748, D. Hume publie ses « Essais philosophiques sur l’entendement humain » (ils seront réédités en 1958, sous le titre d’« Enquête sur l’entendement humain »), qui sont une reprise des principaux thèmes qu’il a déjà exposés, maladroitement (l’auteur en reniera la paternité), dans un ouvrage de jeunesse, en trois volumes, intitulé « Traité de la nature humaine ». 

Les « Essais » sont antérieurs de plus de trente ans à la « Critique de la raison pure », l’ouvrage majeur d’Emmanuel Kant, qui a, d’une certaine façon, été rédigé, par son auteur, pour endiguer (c’est un point de vue assez couramment adopté) les effets pernicieux, du moins jugés comme tels, et qui se sont, en effet, avérés dévastateurs, pour la pensée philosophique, issue de la scolastique et toujours d’actualité au milieu du dix-neuvième siècle. La « Critique de la raison pure » est à l’empirisme inauguré par Hume, ce que la « Somme théologique » de Thomas d’Aquin avait été à la philosophie grecque classique, remise au goût du jour, en Occident, au treizième siècle ; il ne s’agit, ni plus ni moins, dans les deux cas, que de tentatives de récupération, par les religions dominantes (issues du christianisme), d’un courant philosophique en plein essor, en vue de sauver ce qui passait, aux yeux de certains, comme pouvant l’être encore, des fondements de ces religions. La lecture du génial Kant laisse le sentiment d’une incursion en plein cœur de l’Ecole, d’un contact avec l’un de ses adeptes, soucieux de préserver l’influence culturelle d’une philosophie christianisée et désuète, et préoccupé de ne pas en ébranler, irrémédiablement, les piliers, même s’il a bien conscience que les excès, les outrances de cette doctrine, sont désormais indéfendables… La digue élevée par la philosophie kantienne ne résistera  pas longtemps, et le reflux de la métaphysique, amorcé dès le Haut Moyen-Age, ne fera que s’accélérer au cours du vingtième siècle, pour, aujourd’hui, aboutir à une quasi totale disparition, les tenants de la théorie des deux substances ne formant plus qu’un étroit carré d’assiégés.

David Hume, et l’empirisme, ont, d’ores et déjà, triomphé, et, cependant, c’est toujours Emmanuel Kant, et sa philosophie critique, qui fascinent ; Kant passe pour le plus grand des deux philosophes, alors que, d’un point de vue doctrinal, sa pensée n’est qu’un pâle décalque de celle de Hume ; c’est ce dernier qui ouvre, en grand, les portes donnant sur la post-modernité ; les « Essais philosophiques » n’ont pas pris une ride ; ils parlent sans détour à l’homme d’aujourd’hui ; ils sont un préliminaire inévitable à toute recherche sur la condition de l’homme, à la compréhension de ce en quoi consiste la raison, à une approche cohérente du mode de fonctionnement de l’entendement humain ; pour le dire brièvement, on peut les considérer comme des prolégomènes à toutes recherches anthropologiques et philosophiques futures. 

A quoi peuvent donc tenir la notoriété de Kant et sa primauté incontestée ? Sans doute au fait que la philosophie continentale est restée attachée, viscéralement, à une conception de la philosophie proche de la pratique scolastique. La philosophie est en France une discipline universitaire ; elle doit se soumettre à un respect scrupuleux des formes. Le philosophe est un scribe, avant d’être un penseur ; il commente les maîtres à penser, et s’interdit de parler d’autorité ; l’appareil de références qui documente ses ouvrages est, souvent, plus important que le texte qu’il consacre au développement de ses propres idées… les émules d’un Jean-Jacques Rousseau, qui ne s’encombrait guère de citations, et privilégiait la vivacité du cours de sa pensée, ne sont pas légion… et ne sont pas pris au sérieux quand ils ont l’audace de se manifester. Un philosophe doit, forcément, d’abord, être un érudit ; un chercheur hautement spécialisé, condamné à ressasser inlassablement des textes anciens, et à penser, toujours, en prenant appui sur des textes, parfois désuets,  souvent frappés d’une évidente caducité.

On revendique encore l’autorité de Platon ou d’Aristote. Pourquoi pas ? Après tout ! Mais à condition de dépasser le stade de la pure exégèse et de s’autoriser l’audace d’en venir, finalement, à penser par soi-même, comme Hume n’a pas hésité à le faire.

 

[Louis R. Omert est l’auteur de l’ouvrage intitulé « Le sursaut », « Essai critique, social et philosophique », publié chez l’Harmattan, dans la collection « Questions contemporaines »]

 

   

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