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Que de confusions, que de contre-sens, que de non-sens, à propos de ces deux concepts, qui, parce qu’ils font partie des vocabulaires philosophique et théologique de base, sont, a priori, réputés obscurs, polysémiques, pour le moins confus, et censés désigner d’insaisissables réalités, quand ce ne sont pas de pures fictions, sans aucun contact avec le réel. Demandez à un chrétien convaincu, et bien informé de la théologie qui sous-tend sa religion, ce qu’est pour lui l’être, il vous citera Saint Jean l’évangéliste, se gargarisera de superlatifs, évoquera l’être suprême, et, pour finir, conclura que l’être est ineffable, merveilleux mais indicible, grandiose, qu’il a fait être tout ce qui est ; c’est l’être en tant que puissance métaphysique dont il essaie en vain de fournir les déterminations, autant dire, et comme toujours quand les hommes  invoquent, à titre d’explication, un pouvoir qu’ils situent au-delà du monde physique, c’est avouer son ignorance totale de ce en quoi peut bien consister le phénomène évoqué, en l’occurrence ce qu’être veut dire ; être, qu’ici, de surcroît, on confond, manifestement, avec exister. L’étant existe, mais qu’est-ce qui le fait être… ce qu’il est, ou, peut-être faudrait-il dire, ce qu’il paraît être, à moins qu’il soit préférable de dire, pour être encore plus précis, ce dont les hommes conviennent qu’il est. En d’autres termes quelle est son essence, et d’où la tient-il ? Pour quelle raison les hommes sont-ils en mesure de désigner tout ce qui meuble leur monde, tous les étants, aussi bien ceux qui appartiennent à la réalité physique (les choses matérielles et tous les êtres vivants)  que ceux qui relèvent de la pure fiction (les idées, en général), sans équivoque, en se comprenant les uns les autres ; en somme, comment les hommes en sont-ils venus à disposer d’un langage commun, qui leur permet d’habiter un monde qu’il reconnaissent comme étant leur monde commun ?  Une simple observation d’abord : nos dictionnaires font apparaître que le mot « être » a deux valeurs, ce peut être, selon le cas, soit un verbe, qui le cas échéant peut servir d’auxiliaire, soit un nom, comme quand on l’utilise, par exemple, dans l’expression  « l’être suprême ». Mais faire du mot être un nom c’est lui donner vocation à désigner un étant. C’est introduire une confusion fâcheuse entre être et étant, confusion qui n’est pas innocente et qui caractérise toute la philosophie issue de ceux que l’on considère habituellement comme les fondateurs de cette discipline : Socrate, Platon et Aristote. Si on refuse de faire du mot être un nom, si on se contente d’y voir qu’un verbe, éventuellement auxiliaire, susceptible d’être substantivé, l’être fait alors signe non pas vers ce qui est au sens de ce qui existe, mais vers le vouloir, le pouvoir, le devoir, être ; l’être désigne alors ce qui donne à être ; l’être humain n’est plus celui qui est un humain mais le mode selon lequel on peut parvenir à être un humain, ou on a le devoir de le devenir ; et c’est là le maître mot, l’être est un devenir, tout sauf un étant, puisque ce qu’il vise c’est le processus qui conduit à l’émergence, toujours fragile, toujours provisoire d’un étant. Ces modestes réflexions, dont même un esprit peu subtil peut saisir le sens, fournissent une clé pour pénétrer la philosophie, je devrais dire l’ontologie, de Heidegger, et ça n’est pas rien. Plus d’un sont restés devant « Sein und zeit », « Etre et temps » (l’ouvrage majeur de Heidegger), comme devant une porte close, infranchissable, inviolable. Temporaliser l’être, ne pas lui reconnaître de valeur nominale, c’est carrément refonder toute la philosophie, reprendre un contact fructueux avec la merveilleuse époque de la pensée présocratique. Du même coup, c’est se donner les moyens de pénétrer le majestueux, somptueux, édifice philosophique, d’une rare beauté, construit par le philosophe le plus important du vingtième siècle, probablement le plus important depuis Aristote, Heidegger déjà cité ; le premier philosophe à avoir contesté, de façon cohérente et crédible, la voie empruntée par la philosophie depuis l’antiquité grecque classique ; c’est se donner les moyens d’avoir une autre perspective sur le monde de l’homme, et sur l’homme lui-même, que celle que nous a proposée, imposée, la civilisation occidentale, et à laquelle les hommes se cramponnent depuis des millénaires, sans oser s’en écarter aussi peu que ce soit.

[Louis R. Omert est l’auteur de l’ouvrage intitulé « Le sursaut », « Essai critique, social et philosophique », publié chez l’Harmattan, dans la collection « Questions contemporaines »]

  

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