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Dominique Venner s’est donné la mort, mardi dernier, 21 mai, dans le chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Pour mesurer la portée symbolique de ce geste sacrificiel il faut garder à l’esprit qu’il a été commis, à Paris, où on peut dire que bat le cœur de la nation ; dans cette cathédrale qui en a été, si longtemps, l’âme, et qui l’est encore pour nombre de Français ; devant un public de plus de mille personnes.

Il n’est, bien entendu, pas question de faire, ici, l’apologie du suicide, à quelque motif qu’il réponde. Il n’est pas non plus question de le condamner. On ne peut que respecter, même si on ne l’approuve pas, un tel acte ; d’abord parce que, à moins d’avoir perdu l’esprit, il faut faire appel à beaucoup de courage pour mettre fin à ses jours, sans y avoir été poussé par le désespoir. Ensuite parce qu’un suicide est la preuve de la force des convictions qui animaient son auteur.

Faut-il y voir une sorte de fanatisme ? On ne peut l’exclure ; mais il faut alors prendre acte de ce qu’il s’agit d’un fanatisme dont la violence est, exclusivement, tournée contre soi-même… qui demande à être regardé avec déférence par tous, sans distinction d’attache politique ou idéologique ; qui ne peut laisser personne indifférent ; qui pousse à la méditation.

Pourquoi, comment, un homme en vient-il à considérer que la cause qu’il défend, l’idée qu’il se fait du monde, justifient que pour contribuer à leur triomphe, il doive faire le don de sa vie ? Une première réponse s’impose ; celui qui se voit conduit à de telles extrémités, pour faire valoir son point de vue, croit, à l’évidence, qu’il a raison ; qu’il possède la, ou une, vérité ; que cette vérité vaut plus que sa propre existence. Un deuxième élément de réponse réside, probablement, dans l’idée que son propre sacrifice peut influer sur le cours des évènements ; en quoi, celui qui se suicide pour une cause à défendre, pèche vraisemblablement, aussi, d’une certaine façon, par orgueil.

Le suicide de Dominique Venner vient allonger la liste, déjà bien trop longue, de tous ceux qui se résignent au suicide pour des raisons politiques, ou autres ; qui veulent faire de leur suicide un argument en faveur de la cause qu’ils défendent ; de toutes ces torches vivantes, effrayantes, qu’on a vu brûler, au Vietnam, ou au Tibet, et qu’on peut voir, maintenant, en France, jusque devant les locaux de Pôle emploi. Du point de vue de la foi aveugle en la vérité, dont ils sont les témoins, ces suicides ne se distinguent pas des attentats suicides ; il n’est pas pour autant possible de les confondre, même s’ils sont la manifestation d’une seule, et même, cause ; l’attentat suicide est, évidemment, en plus, odieux, parce qu’il est aussi un crime contre autrui ; mais dans les deux cas il s’agit d’offrir un spectacle dont l’horreur est censée valoir force de conviction.

La Vérité n’existe pas, par elle-même ; elle est à construire ; elle ne peut procéder que d’un accord entre les vivants ; elle est conjoncturelle, locale, très provisoire ; elle s’éteint avec les hommes qui la portaient, si elle parvient jamais à exister. On doit vivre pour la vérité ; pour qu’elle puisse elle-même prendre vie. Mourir pour la vérité est un non-sens. Le suicide s’il vise à attester d’une vérité est donc un argument non recevable.

L’orgueil, qui consiste à penser qu’une vie individuelle peut peser, d’un poids décisif, sur le cours de l’Histoire, serait risible, s’il ne traduisait pas une idée de l’homme, encore très largement répandue, même si elle ne conduit pas obligatoirement à la violence contre autrui, ou contre soi-même, mais qui comporte bien d’autres conséquences négatives, beaucoup plus insidieuses, et compromettantes pour la réussite de quelque forme de vivre ensemble que ce soit… et on voudra bien prendre acte de ce que l’histoire garde le souvenir de l’expérimentation d’une multitude de forme du vivre ensemble, qui ont toutes échoué à éradiquer le mal, le mal absolu, savoir cette croyance en l’existence d’une vérité en soi, opposable à quiconque, avec laquelle on ne pourrait transiger, et qui finit toujours par dégénérer en un pouvoir tyrannique de l’homme sur l’homme.

Le suicide n’est rien d’autre qu’une fuite.

             La mort ne peut jamais être la solution  d’un problème humain.

Pour conclure, à l’instar de Friedrich Nietzsche, qui dénonçait, dans son ouvrage intitulé : « Le cas Wagner », le nihilisme, gangrène de l’Europe au dix-neuvième siècle, dont Wagner se serait fait l’apologiste, on peut accuser, aujourd’hui, le malheureux qui a cru devoir mettre un terme à son existence au pied du maître-autel de Notre Dame de Paris, d’avoir voulu affirmer sa foi en La Vérité, cet avatar de Dieu, cette gangrène des vingtième et vingt-et-unième siècles, en mobilisant l’attention sur ce qu’il croyait être deux vérités bafouées, et quelles pauvres vérités ! ((1°) L’humanité ne pourraient venir aux enfants des hommes qu’à condition de leur être véhiculée par deux parents de sexes différents ;  2°) La France  serait menacée d’islamisation )) ; on peut, on doit, l’accuser d’avoir tout simplement pris ses misérables phantasmes pour des vérités éternelles (et, accessoirement, d’avoir, après bien d’autres, contribué à polluer les moyens modernes de communication, en les mettant, de façon spectaculaire, au service de ses médiocres phantasmes).

 

[Louis R. Omert est l’auteur de l’ouvrage intitulé « Le sursaut », « Essai critique, social et philosophique », publié chez l’Harmattan, dans la collection « Questions contemporaines »]

 

 

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