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On entend couramment dire que les enfants sont, souvent, terriblement cruels les uns envers les autres ; qu’il peut même arriver qu’ils soient d’une méchanceté inouïe entre eux ; et les faits divers sont nombreux qui viennent, semble-t-il du moins, confirmer ce qu’on considère généralement comme un constat regrettable mais indiscutable. De là, d’ailleurs, l’idée, solidement ancrée dans l’esprit du plus grand nombre, et qui, par ailleurs, figure en très bonne place parmi les postulats sur lesquels repose l’anthropologie dominante, plus particulièrement en Occident, idée en vertu de laquelle l’homme serait par nature, par essence, un loup pour l’homme… la preuve étant que, dès l’âge qui est réputé être celui de l’innocence, les petits d’hommes seraient portés, pour ainsi dire voués, à s’entredéchirer.

Le harcèlement scolaire n’étonne donc personne, chacun étant convaincu qu’il n’y faut rien voir d’autre qu’une manifestation de la part animale, pour ne pas dire bestiale, qui concoure à structurer le bipède, qu’on dit, cependant, humain pour le bien distinguer, du fait de son intelligence supposée, des autres individus du genre auquel il appartient.

Cette idée selon laquelle l’homme serait le siège d’une lutte entre le bien et le mal, présentée comme se déclenchant précocement chez l’enfant, pour devenir chronique chez l’adulte, et, surtout, comme pouvant prendre, à tout âge, des proportions titanesques (tant qu’à faire dans l’affabulation, pourquoi se priver de magnifier ceux qui parviendraient à passer pour avoir maîtrisé le fauve censé les habiter), cette idée, qu’il faut regarder désormais comme parfaitement saugrenue, remonte à l’antiquité dite classique ; on la trouve exprimée chez Platon et Aristote, mais aussi dans l’ancien testament ; elle a été reprise, et amplifiée, chez Paul de Tarse, qui montre l’homme tiraillé entre la chair, animale, et l’esprit, proche parent de Dieu ; on la retrouve, amortie et aménagée, chez Descartes qui confirme l’existence en l’homme de deux substances. Aujourd’hui une telle conception de l’homme ne saurait plus reposer sur le moindre argument plausible.

En revanche, il est clair que le petit d’homme, comme tout animal, est instinctivement porté au jeu, que l’excitation qu’il éprouve en jouant, peut le porter, malgré lui, à commettre quelque brutalité ; à ne pas réaliser que celui qu’il regarde, au début des temps, comme son partenaire de jeu, n’y prend plus, finalement, aucun plaisir, voire qu’il en ressent un réel, voire un très profond, déplaisir, et à la limite, qu’il s’y trouve en état de souffrance. Tel n’est évidemment pas le but recherché, a priori, par celui qui mène le jeu.

Il ne faut pas, en outre, écarter la possibilité que l’enfant, qui a eu l’occasion d’imposer sa suprématie, dans un jeu dont un de ses camarade a été, de fait, la victime, trouve plaisir à renouveler ce jeu, et finisse, même, par y prendre goût, voire à ne plus pouvoir s’en dispenser, attendu qu’il sait y trouver l’occasion de satisfaire, précisément, ce besoin de dominer, que tout un chacun risque d’éprouver, à force de vivre dans une société, essentiellement, et sans vergogne, fondée sur la compétition entre individus. Voilà comment un jeu d’enfant peut devenir un harcèlement cruel et, de fait, jusqu’à être, parfois, insupportable pour la victime.

Quoiqu’il en soit les parents ne doivent en aucun cas négliger de prendre très au sérieux tout indice tendant à montrer que leur enfant est, soit victime, soit coupable, d’un harcèlement, et s’il est coupable, en n’oubliant jamais que ce ne peut être que malgré lui, et certainement pas parce qu’il serait poussé par je ne sais quel « mauvais fond », comme on dit si vilainement.

A l’enfant qui aurait pris plaisir à stigmatiser la faiblesse d’un camarade, parce que pour lui il ne s’agissait que d’un jeu, et que ce jeu lui apportait, peut-être, en outre, la rassurante confirmation qu’il pouvait avoir le dessus en cas de compétition, il ne faut pas reprocher de s’être abandonné à un inavouable penchant pour le mal, au contraire, il faut essayer de lui faire comprendre que personne ne peut jouer sous la contrainte ; que tout jeu collectif suppose l’assentiment de tous les participants ; que la compétition pour être socialement acceptable doit être exclusivement un combat de chacun contre ses propre limites et non contre celles d’autrui ; qu’il faut, pour jouer collectivement, savoir écouter ses partenaires… un enfant ne fait jamais du mal pour faire du mal.

[Louis R. Omert est l’auteur de l’ouvrage intitulé « Le sursaut », « Essai critique, social et philosophique », publié chez l’Harmattan, dans la collection « Questions contemporaines »]

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