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Le cerveau humain est ainsi fait que sa capacité à raisonner, qui est tout le pouvoir qui peut lui être reconnu comme le distinguant du reste du genre animal auquel il appartient, se résume en la faculté d’utiliser un nombre extrêmement restreint de principes, tels que les principes d’identité, de non contradiction, ou de tiers exclu (encore que sur ce dernier l’accord unanime- de l’élite bien sûr, de la partie pensante de la communauté des hommes- ne se fasse plus ; et qu’on en soit venu à douter qu’il puisse rendre compte de la logique applicable au monde). Or ces principes qui sont effectivement de puissants moyens de pousser un raisonnement analytique jusque dans ses derniers retranchements, qui permettent incontestablement de se repérer au sein du monde tel qu’il est, ne sont en aucune façon susceptible d’autoriser la construction a priori d’un monde autre que celui que nous connaissons, qui est manifestement le résultat des rapports que les hommes entretiennent avec la nature, mais qui, s’il devient compréhensible grâce à eux (ces principes), n’en procède nullement. En d’autres termes, il faut ne pas perdre de vue que les principes de logique que les hommes utilisent pour s’approprier le monde, ne sont, en quelque sorte, que des outils d’orientation, à partir desquels il est hors de propos d’essayer de comprendre l’être du monde ; tout au plus aident-ils à comprendre son mode d’être (comment il se comporte), et l’usage qui peut en être fait (comment s’y comporter).

L’élite intellectuelle, dont la société se dote à grands frais, est évidemment la mieux à même de servir d’éclaireur (au reste de la communauté des hommes) pour tracer un chemin dans ce labyrinthe de complexité qu’est devenu le monde. Elle est en revanche totalement incapable de déterminer ce que devrait être le monde et, surtout, comment parvenir à construire ce nouveau monde, aussi souhaitable qu’il puisse lui paraître, et quand bien même il serait effectivement souhaité par tous leurs semblables. Tout le monde souhaite un monde meilleur, sans violence, faisant une place à chacun… le problème étant de comprendre pourquoi il n’en est pas ainsi, avant de prétendre déterminer comment il pourrait en être autrement… sachant que le monde ne se plie pas à la volonté des hommes, aussi généreuse soit-elle. Les religions et la philosophie s’y sont essayés ; le résultat est accablant ; et pourrait laisser penser que rien ne peut être fait qui soit de nature à changer la condition humaine.

C’est un fait, difficilement contestable, que la condition humaine dépend du monde dans lequel les hommes vivent. C’est désormais, aussi un fait incontestable que le monde n’est pas un donné, n’est pas sous le contrôle d’une puissance transcendante ; que le monde se construit dans l’immanence, du fait de la présence des hommes en son sein… bien qu’il soit insensible à la volonté individuelle ou collective de ces derniers, bien qu’il soit en somme immunisé contre leurs manigances. Mais, alors, où le monde puise-t-il l’énergie qui le met en branle et le fait prospérer ? Dans quel terreau plonge-t-il se racines ? Ou, pour reprendre la problématique sur le fondement de laquelle la philosophie s’est construite à l’origine, et que s’est appropriée la théologie chrétienne : quel est le premier moteur qui a mis le monde en mouvement ? Autre formulation du même problème : autour de quels puissants postulats premiers (à moins qu’il s’agisse d’un postulat unique) la logique qui structure le monde s’est-elle tissée ? Il est manifeste que l’esprit, au sens où Hegel l’entendait, est à l’œuvre dans le monde ; il est non moins évident que l’esprit qui anime le monde est directement compréhensible pour l’homme ; et ce n’est évidemment pas par miracle qu’il est entendu des hommes ; c’est, tout simplement, parce qu’il est le produit de leurs échanges, de leur activité commune ; parce qu’il est une sélection de ce que l’imagination humaine produit. Or toute production intellectuelle n’est-elle pas directement inspirée par l’idée primordiale que les hommes se font d’eux-mêmes ? Si le monde est conforme à l’idée que les hommes se font d’eux-mêmes, ce n’est donc pas un hasard ; c’est parce qu’il est le produit de cette même idée.

Aussi est-il parfaitement vain de vouloir changer le monde tant qu’on ne s’est pas préoccupé de revisiter l’idée que les hommes se font d’eux-mêmes ; plus exactement, la prétention de changer le monde est-elle incohérente ; les hommes ne peuvent qu’essayer de se forger une nouvelle idée d’eux-mêmes qui ne manquera pas de donner naissance à un autre monde… à condition que cette idée nouvelle de ce qu’ils sont eux-mêmes soit acceptée par tous.

Si on veut bien prendre conscience de ce que les hommes d’aujourd’hui se voient encore tels qu’ils ont cru pouvoir se définir à l’occasion des premiers balbutiements de la philosophie, aux cinquième/quatrième siècles avant Jésus-Christ ; pire si on veut bien prendre conscience que ces premières déterminations de l’homme ont, en fait, consisté à théoriser l’idée que les hommes s’étaient faite d’eux même dès la préhistoire, on devra admettre que le plus surprenant c’est que cette idée ait pu perdurer jusqu’au vingt-et-unième siècle ; et convenir qu’il ne devrait pas être impossible de la faire évoluer, voir d’en changer totalement.

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