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Le mot et le concept

La question se pose de savoir quel est, chronologiquement, le premier, du mot ou du concept. Question stupide, objecterez-vous, argument pris de ce que si le mot devait être reconnu comme précédant, dans le temps, le concept, il faudrait alors admettre que l’homme, avant de disposer du langage, ne pensait pas. Peut-être n’est-ce pas aussi simple qu’on pourrait l’imaginer au premier abord.

Première objection : est-on assuré que penser par concepts soit le seul mode de penser ? Les animaux pensent-ils ? Quel est leur mode de penser ? Il n’est pas gratuit de se le demander : au début des temps, force est d’admettre que homo erectus pensait comme pensent tous les animaux. Ce dernier a-t-il disposé d’un langage ? Peut-être ! Mais avant d’en avoir la pratique, il lui a bien fallu penser sans disposer du moindre vocabulaire, à l’instar de ses congénères, étrangers à l’espèce humaine. Ne faudrait-il pas, dans ces conditions, envisager l’existence possible d’un penser, antérieur au langage et, de surcroît, pré-conceptuel ? Tout porte à croire que, en effet, la pensée primitive, avant le langage parlé, avant le mot, était une pensée par images, et association d’images ; une pensée qui faisait appel à la mémorisation des sensations (visuelles, olfactives, tactiles, auditives, gustatives, et des réactions organiques, viscérales, hormonales, associées aux stimuli extérieurs) ; le monde primitif devait être un monde plat, comme un peinture sur toile ; dépourvu d’arrière monde ; sans histoire, ou presque sans histoire ; avec tout juste un passé immédiat et un futur proche ; en tout cas sans concept… monde accessible par de simples repérages ; sans approche rationnelle (je m’avance peut-être un peu trop) ; sans épaisseur.

Si ce qui vient d’être dit est vrai, comment homo habilis (probablement), puis homo sapiens (sûrement), en sont-ils venus à penser par concepts ? Une seule réponse possible : parce que la parole s’est imposée à eux. La parole s’est, en effet, littéralement imposée à l’homme qui, à aucun moment, n’a eu le sentiment qu’il était en train de construire un moyen de communication par signes : il ne faut imaginer aucune convention à l’origine de la parole signifiante ; le langage s’est construit comme de lui-même ; comme, d’ailleurs, le monde (des hommes) lui-même, dont le langage n’est qu’un attribut entre autres.

La parole comme un préalable au concept, comme le fondement et l’armature du concept : le structuralisme ne s’y est pas trompé ; c’est ce qu’il a compris quand il a prétendu qu’il fallait voir dans le langage une structure (échappant, par définition, à la volonté du sujet) structurante (conditionnant la pensée de ce même sujet qui, du même coup, de sujet pensant se voyait réduit au rang de simple sujet grammatical).

Le mot a précédé le concept ; il a façonné (contribué à façonner ?), d’une certaine façon, le monde ; il est la chair du concept ; il ne faut donc pas s’étonner que, sans lui, le monde soit incompréhensible.

Ce bref détour nous ramène, maintenant, à la conscience. Elle est nécessairement le reflet de ce qu’est un être humain : capable de penser par images et associations d’images ; son univers se construit à l’aide de représentations qui sont des échos très fidèles de ses sensations, plus ou moins fidèles, et plutôt moins que plus, de la réalité dans laquelle il baigne ; mais aussi, et surtout, capable de penser en utilisant l’abstraction (phénomène de généralisation signifiante) qu’est le langage… lequel a progressivement empiété sur la représentation par perception, jusqu’à se substituer à elle. La conscience humaine se nourrit et traite de l’abstraction, qu’elle puise automatiquement dans le monde par le biais du langage, structure du monde, et son véhicule à destination de l’individu.

Avez-vous remarqué que dans le rêve les lieux ne sont jamais des répliques précises de lieux connus du sujet ; ce sont des lieux construits par concepts sur le mode pratiqué par l’auditeur d’un récit ; tout se passe comme si nos rêves nous étaient contés ; comme si rêver c’était écouter et explorer un discours : les mots y sont les maîtres du jeu, comme ils sont les maîtres du monde et de toute pensée qui peut se dire humaine.

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