La métaphysique (bis)

Le 23 décembre 2013, dans un article intitulé « La métaphysique », l’auteur du présent blog s’est efforcé de définir ce terme, d’en expliquer l’origine, et de montrer que le sens susceptible de lui être donné aujourd’hui (peut-être faudrait-il dire le seul sens qui puisse, et doive, lui être donné) est à l’extrême opposé de celui qui fut le sien à l’origine, et qui est encore celui que lui attribuent, dans leur immense majorité, ceux qui pensent savoir ce vers quoi il fait signe.

Brièvement on peut dire que, depuis toujours, les hommes ont cru que les forces de l’esprit précédaient la matière ; que celle-ci pouvait même avoir été produite par celles-là ; alors que, désormais, il ne paraît plus du tout incohérent (ce serait même tout à fait le contraire) d’imaginer que l’esprit est un produit de la matière : changement de direction à cent quatre-vingt degrés : révolution copernicienne à rebours, si on veut bien autoriser cette formule : Copernic avait mis le soleil, savoir la lumière, à la place qui lui revient de fait, au centre du système astronomique auquel appartient la terre, renvoyant cette dernière à sa périphérie et la plaçant sous sa dépendance ; la philosophie, aujourd’hui, replace la matière au centre, qu’elle n’aurait jamais dû quitter, et relègue l’esprit, la lumière, dans son orbite… le métaphysique est maintenant ce qui vient, chronologiquement, après la matière, et dont cette dernière rend possible l’émergence.

Le changement de perspective est proprement considérable ; se pourrait-il qu’il reste sans la moindre conséquence concernant l’idée que nos contemporains se font du monde et, surtout, de l’homme ? C’est que, du coup, si l’esprit doit être considéré, effectivement, comme un produit de la matière, la question primordiale devient : « Mais alors en quoi consiste l’esprit ? » Notez que, par le fait même, s’ouvre, enfin, pour la communauté des hommes, la possibilité de savoir (peut-être) de quoi est faite leur singularité, attendu que jusqu’à présent la connaissance qu’il croyait en avoir n’était fondée que sur des illusions ; l’inexplicable étant regardé comme la seule explication possible, et chacun s’en accommodant : pourquoi, en effet, chercher à en savoir plus sur ce qui apparaissait comme transcendant et s’avérait, donc, inaccessible par définition ?

Ainsi, il pourrait se faire qu’il y ait des explications quant à la survenue de l’esprit ; et, pourquoi non, quant à l’orientation qui lui a été donnée ; qui n’est peut-être pas la seule qui eût pu l’être ; et, par voie de conséquence, quant à la possibilité d’infléchir son progrès selon une polarité toute nouvelle ; différente, voire à l’opposé, de celle qui l’a conduit là où nous le découvrons aujourd’hui : monstrueux jusqu’à avoir produit les deux conflits mondiaux, le nazisme, le racisme, la Shoah et jusqu’au terrorisme de l’ E.I…. (On observera que la litanie des désastres qui ont endeuillé le vingtième siècle, et ce début du vingt-et-unième siècle, abusivement abrégée, reste néanmoins terriblement significative des méfaits de l’esprit tel que la présente génération en a hérité et, tel qu’en lui-même, il sévit, pour le plus grand malheur des hommes, depuis des millénaires).

Se peut-il que, sachant ce que les hommes savent aujourd’hui de l’univers et de ce qu’ils ont pu reconstituer de l’histoire de la matière, ils continuent à regarder leur espèce comme soumise à un inéluctable destin, fait de larmes et de sang ; et les individus qui composent cette espèce comme des sortes de chimères, mi anges mi bêtes ; et que, après avoir surabondamment constaté les défaillances de l’esprit, ils ne se préoccupent pas d’en déterminer les causes, alors qu’ils commencent à avoir une idée précise du processus suivant lequel la faculté de penser, dont les hommes croient pouvoir se prévaloir, et dont, pour l’instant, ils se trouvent, purement et simplement, affublés pour leur malheur, est advenue ? (A suivre)