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L’homme est un animal rationnel et raisonnable. Qu’il s’adonne à la pure spéculation ou qu’il s’investisse dans le domaine pratique, c’est à la raison qu’il fait appel ; du moins c’est ce qu’il prétend, et que tout le monde croit, sans qu’il soit nécessaire d’en fournir une preuve, ni même de bien entendre de quoi il s’agit quand on évoque la raison : elle est le propre de l’homme, voilà tout !

Dans le domaine scientifique, aucun doute n’est possible, la raison est à l’œuvre là où la vérification expérimentale confirme les hypothèses ; c’est la raison qui a inspiré la théorie dont l’expérience atteste du bien fondé ; qui a permis d’élucider les causes qui provoquent les résultats observés ; lesquelles causes sont, d’ailleurs, également qualifiées de raisons. Il en va de même dans le domaine technique ; si bien que dans le monde actuel, où science et technologie règnent sans partage, les hommes finissent par se convaincre que le rationnel est, et doit être, omniprésent dans leur existence, et que pas même le moindre de leurs actes ne doit, voire ne peut, y échapper. La rationalité serait donc une loi universelle, et en même temps une exigence de l’esprit humain, qui assurerait à l’homme, qui en accepterait l’empire (mais peut-on seulement s’en affranchir ?), de vivre en parfaite harmonie avec son environnement, inerte ou vivant.

Ainsi la raison est-elle vue comme une faculté innée du cortex supérieur de l’homme, appropriée à une compréhension directe des phénomènes de la nature : l’univers est censé être organisé conformément aux principes reconnus, comme inéluctables, et irréfragables, par le cerveau ; sa stricte subordination à de tels principes confirmerait sa parfaite rationalité. On peut toutefois poser la question de savoir si cette façon d’aborder le problème de la connaissance des choses matérielles, du monde physique, n’est pas déjà quelque peu présomptueuse. De ce que les hommes comprennent, i.e. acceptent d’intégrer au monde, « leur » monde, qui n’est pas l’univers, mais qui n’en est qu’une abstraction conforme à ce qu’ils en appréhendent… de ce que les hommes comprennent ce qui s’organise conformément aux principes qu’ils reconnaissent comme logiques, donc rationnels, a-t-on le droit de déduire que l’univers tout entier est subordonné à de telles règles ? Certainement non ! Ce n’est que pure spéculation ; in-susceptible d’être prouvée par l’expérience ; un postulat commode ? Voire ! Peut-être est-il lourdement trompeur, et conduit-il l’humanité dans une impasse.

Les objections qui peuvent être formulées contre la prétention à l’universalisme des principes de la raison, quand ils trouvent à s’appliquer au monde physique, s’avèrent encore plus pertinentes quand elles visent le rationnel qu’on s’évertuerait à identifier dans le domaine pratique. Force est alors d’admettre que, pour ce qui regarde l’éthique et la morale, la rationalité ne s’apprécie qu’au regard du but poursuivi ; et il en va de même pour toute conduite humaine : la raison est alors cette faculté qui s’ingénie à rassembler tous les arguments et moyens favorables à la réalisation d’un projet, d’un désir ; elle se confond quelque peu avec la volonté ; elle devient subjective ; elle se situe à l’extrême opposé de l’universalisme, et conduit le poète à proclamer que : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Faut-il considérer que par une simple migration de la sphère du scientifique et de la technologie vers celle de la pratique, on passe d’un monde, qui ne connaîtrait que le rationnel, à un autre monde, gangréné par l’irrationnel. Et d’abord est-on fondé à regarder comme affecté par l’irrationnel, savoir par le contraire de la raison, un domaine d’application de cette dernière, parce qu’il souffre la coexistence de plusieurs rationalités ? Et, pour commencer, qu’est-ce que la rationalité ?

La rationalité d’un ensemble de données, comme d’un comportement, n’est faite de rien d’autre que de la forte cohérence qui anime leurs parties et conduit inéluctablement, à sa constitution en système pour le premier, et à la réalisation de ses objectifs pour le second. La raison est cet outil remarquable qui permet aux hommes d’accéder à des vérités, dont ils doivent admettre, pour leur sauvegarde, qu’elles ne peuvent être que contingentes.

La raison est un mode d’appréhension du réel, propre à l’humanité ; elle n’est pas cette déesse aux verdicts marqués du sceau de l’absolu, que le dix-huitième siècle a voulu y voir ; la sacraliser est une erreur ; le vingtième siècle a eu à le vérifier douloureusement.                    

 

              

 

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