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Je pense, ou j’ai conscience de… donc, le monde est, le monde existe ; et l’être me féconde, jamais  directement, toujours à travers le monde ; un phénomène de conscience m’habite, et je peux, peut-être, en conclure que j’existe, que je suis ; mais, et c’est infiniment plus important, je peux en déduire que le monde, et l’être, qui en est l’inspirateur plus ou moins écouté, m’informent, donnent forme à mon esprit. En d’autres termes, je suis ce que le monde et l’être me font ; ou plus exactement, je suis ce que mon être neurophysiologique profond, mon organisme, le hardware réactif, de chair, de sang et de liaisons nerveuses, que je suis, ont pu, ou su, accueillir, souvent en en déformant le sens, du monde, dans lequel j’ai été comme « jeté » (l’expression n’est pas de moi), et de l’être auquel j’ai été, indirectement, confronté.

Pour les appréhender, l’un et l’autre, je ne dispose, pratiquement, d’aucunes facultés, d’aucunes dispositions a priori, autres que celles qui peuvent me permettre, à la rigueur, de déchiffrer les messages qu’ils m’adressent, mais rien ne me permet, pour autant, d’avoir la certitude que j’en comprends le sens. Je ne viens pas au monde avec l’ébauche de ce monde dans le cerveau ; j’émerge dans le monde, armé des seuls réflexes de défense, et d’appétit, que la nature a mis à ma disposition, et qui ne sont, évidemment, pas adaptés aux menaces que fait peser sur moi le monde, et aux satisfactions qu’il m’offre, puisque le monde est un artefact, et que l’être en est le principe fondateur.

Je viens au monde à l’état de nature, prêt à affronter un univers naturel, à l’instar de ce que vécut mon aïeul, le premier homo sapiens/sapiens ; prêt à lutter pour ma propre survie et pour celle de mon espèce. Ma conscience, ou, plus exactement, ce mode de fonctionnement du cerveau animal qui en tient lieu, s’éveille à un monde créé, anthropomorphique, agencé et normé artificiellement, d’une extrême complexité, que je vais devoir explorer, et investir, en faisant appel aux capacités supérieures de mon cerveau, alors que, dans le même temps où je le découvrirai par le biais du dressage et de l’apprentissage, ma structure neurophysiologique ne mettra à ma disposition que des réflexes d’appétit, d’empathie, et de rejet, propres à pourvoir à mes besoins vitaux élémentaires. Il va s’ensuivre des risques d’erreurs multiples, force méprise et contresens, sur la nature réelle du monde, sur les possibilités qu’il m’offre, et les périls dont il me menace ; risques d’erreurs provoqués par un système d’alerte réflexe inadapté aux situations mondaines, puisque forgé, au cours de l’évolution, pour répondre aux défis que la nature oppose à tout animal en quête des moyens de sa survie, et de sa procréation.

Or ce que j’appelle ma conscience, c’est-à-dire ce que je me sens être, et que je crois, fermement, être ; qui donne une couleur, une tonalité, particulières, à tout ce qui m’entoure, êtres vivants et choses inanimées ; qui va faire que « mon » monde sera plus ou moins superposable à celui des autres ; que je m’y sentirai plus ou moins à mon aise… est constitué par l’ensemble des traces, indélébiles parce que lourdement chargées de l’écho affectif dont elles ont été accompagnées,  que la confrontation entre mon capital neurophysiologique, que j’ai qualifié de hardware ci-dessus (structure strictement naturelle), et le monde (structure essentiellement artificielle), a inscrites dans mon cerveau, lors des premiers contacts que j’ai eus avec mon environnement, et cela, probablement, dès le stade intra-utérin.

On sait que l’exploration du monde, et l’appropriation du savoir le concernant, s’inscrivent dans le cerveau sous la forme d’arborescences de neurones interconnectés. La durée de survie de ces enregistrements (ces arborescences) est fonction de l’intensité, soit de l’émotion qui a été associée à la représentation (puisque c’est de cela qu’il s’agit), soit de l’attention que je lui ai accordée ; c’est ainsi que, dans un cas comme dans l’autre, se construit la mémoire. Toute représentation durablement enregistrée peut être réactivée soit parce que je vais faire un effort de mémoire (déclenchement volontaire d’une exploration automatique des arborescences jouissant d’une certaine pérennité), soit parce que je vais être confronté à une situation qui par un aspect quelconque, éventuellement secondaire (parfum, couleur, son, sensation tactile, vague rapport avec le sujet de la nouvelle représentation …) sera de nature à évoquer des circonstances antérieurement vécues comme étant importantes par leur retentissement affectif.

Les arborescences qui se sont structurées dans la petite enfance, particulièrement avant l’acquisition de la parole, mais aussi par la suite, et jusqu’à ce que l’enfant soit parvenu  à une bonne maîtrise de ses facultés logiques (supposées acquises à l’âge dit de raison), et qui ont été associées à des émotions fortes, vont marquer son caractère définitivement, et de façon d’autant plus envahissante, qu’elles seront restées indéterminées, parce qu’elles auront été provoquées par des évènements mal compris par l’enfant, cause de méprises ou de contresens. Ces arborescences seront donc réactivées très souvent, par la suite, parce que, confuses, elles pourront être associées à toutes sortes d’évènements n’ayant que peu, et parfois pas, de rapport avec les circonstances ayant présidé à leur enregistrement en mémoire (enregistrements peu ou pas explicites mais véhicules de sensations qui pour être incompréhensibles pour le sujet n’en seront que plus destructrices pour lui) : ainsi naissent probablement les phobies, névroses, et certainement jusqu’aux psychoses (quand elles ne sont pas le fruit de malformations neurophysiologiques).

Quand je dis « je », me demandais-je dans le précédent article sur le même sujet, c’est au nom de qui que je parle ? Eh bien nous avons maintenant la réponse. « Je » est le logiciel qui s’est inscrit, automatiquement, dans mon cerveau au fur et à mesure des premiers contacts que j’ai eus avec le réel. Je suis un automate, automatiquement programmé par les réactions spontanées de mon métabolisme dans sa confrontation avec le monde ; mon « Je » est un automate ; il est ce que les circonstances l’ont fait compte tenu de mes dispositions neurophysiologiques ; il aurait pu être tout autre dans d’autres circonstances. Voilà qui demande à être approfondi, et dont il pourrait n’être pas inutile de rechercher les conséquences qui en découlent logiquement. (A suivre)

 

[Louis R. Omert est l’auteur de l’ouvrage intitulé « Le sursaut », « Essai critique, social et philosophique », publié chez l’Harmattan, dans la collection « Questions contemporaines »]

      

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