Marcela Iacub, Belle et Bête

J’étais tellement gêné de devoir avouer ma curiosité pour cet ouvrage, qui venait de défrayer la chronique nationale pendant des semaines, et que tout le monde s’entendait à présenter comme sulfureux, qu’au moment de le payer, en quittant La Procure, je me suis senti obligé d’adresser au caissier une remarque qui se voulait désinvolte ; j’ai dû dire quelque chose comme : « jugez de ma naïveté ; je refuse de croire, a priori, que Laurent Joffrin (rédacteur en chef du Nouvel Observateur) ait pu consentir à se compromettre dans une opération exclusivement vénale … ».

L’ouvrage n’est pas volumineux : un texte d’un peu moins de cent vingt pages d’environ mille cinq cents caractères chacune. Le discours se développe sur douze petits chapitres.

Le titre est énigmatique : on comprend immédiatement qui est Belle, on hésite sur le point de savoir à qui revient le rôle de Bête ; du moins, avant d’avoir refermé le livre..

On chercherait en vain, dans ce livre, la moindre trace de pornographie ; et moi qui craignait, par dessus tout, en le lisant, d’en être réduit à la posture humiliante de l’indiscret qui regarde par le trou de la serrure, j’ai été vite rassuré . Laurent Joffrin, à l’initiative de qui le scandale est arrivé, n’a pas eu à mentir, même si en faisant la promotion de « Belle et Bête » il a poursuivi, manifestement, un intérêt qui ne se superpose pas exactement au souci de révéler le talent de son auteur… c’est un fait indéniable, voire éclatant : Marcela Iacub est un authentique écrivain.

« Belle et Bête » c’est à la fois le roman d’un amour déçu, et la chronique d’un dépit amoureux ; peut-être est-ce, dans le fond, l’aveu d’un grand amour ; à moins qu’il ne s’agisse d’une solennelle, et pathétique,  déclaration d’amour, rétrospective, proférée au moment où l’amour n’est déjà plus, et qu’on a pris le soin de camoufler sous une forme littéraire, parfois déroutante, mais toujours brillante ; un  style fluide,  et très personnel, qui n’en fait pas moins songer à Francis Ponge ou à Claude Simon : des descriptions, d’une précision extraordinairement suggestives, rappellent, infailliblement, la manière sidérante de restituer le réel qui caractérise ces deux prestigieux auteurs, mais, en l’occurrence, c’est au surréalisme qu’il est demandé de témoigner de la vérité, et c’est à force de talent qu’on lui fait exprimer le réel avec une plus vive intensité que ne le ferait la simple, et banale, description de la réalité elle-même.

Lecture faite on ne peut que s’étonner des réactions excessives de la part des médias, qui ne s’expliquent que parce qu’elles ont été suscitées, avant la parution de l’ouvrage, par l’annonce tapageuse qui a précédé sa publication ; sans doute le but recherché, aussi bien par l’éditeur que par le Nouvel Observateur, était-il de créer de la curiosité, et de préférence une curiosité malsaine… Ils y sont parvenu à coup sûr, mais c’est au détriment de cet ouvrage, qui mérite infiniment mieux que la réputation qui lui a été fabriquée, et, malheureusement, de son auteur, qui en aura, vraisemblablement, été affectée.

On peut, par ailleurs, s’étonner que ce soit l’homme qui a suscité un tel amour qui ait cru devoir attraire en justice l’éditeur du livre et l’hebdomadaire ; en réalité la personne la plus malmenée, et de loin, dans l’ouvrage c’est bien plutôt son épouse que lui-même.

Marcela Iacub, constate, comme bien d’autres avant elle, que l’homme est à la fois moitié Bête et moitié humain, mais à la différence du plus grand nombre, elle ne confond pas l’humain avec l’ange, et la Bête avec le diable ; pour elle, c’est la part de l’homme qui se veut humaine qui est monstrueuse, et la part dite bestiale qui est éminemment respectable ; aussi revendique-t-elle, avec un certain panache, sa propre part animale, en donnant pour titre à son ouvrage, une formule destinée à la qualifier elle-même : « Belle et Bête », à la fois.

[Louis R. Omert est l’auteur de l’ouvrage intitulé « Le sursaut », « Essai critique, social et philosophique », publié chez l’Harmattan, dans la collection « Questions contemporaines »]